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Jean-Christophe Prat : « On n’a pas regardé le classement, jusqu’à l’avant dernière journée. »

Le coach du Paris Basketball s’est replongé dans cette incroyable aventure conclue par une accession en première division au terme d’un final époustouflant de dix victoires en onze matchs.

Un véritable rouleau compresseur, tel aura été l’effet laissé par les joueurs du Paris Basketball sur le dernier tiers de la saison. Le club de la capitale a en effet aligné dix victoires sur ces onze derniers matchs de championnat afin de ravir la deuxième place, synonyme d’accession en première division, coiffant sur le poteau Blois, Nancy, Saint-Quentin ou encore Quimper.

Une série monumentale durant laquelle les Parisiens ont bien souvent dominé leur sujet, et qui a aussi fait ressortir la patte de son coach, Jean-Christophe Prat. Avec un groupe composé de jeunes joueurs à fort potentiel et de vétérans aguerris, le technicien avait déjà réussi à hisser Denain en finale d’accession lors de la saison 2014-2015, sa toute première en tant que coach.

Cette fois, son noyau dur de jeunes talents, composé de Milan Barbitch, Gauthier Denis, Juhann Bégarin, Dustin Sleva et Ismaël Kamagaté, et entouré deux vétérans de choix, Nobel Boungou-Colo et Amara Sy, a créé une machine inarrêtable qui a propulsé le Paris Basketball dans les étoiles.

Après avoir pris le temps de décompresser au terme d’une saison éprouvante, Jean-Christophe Prat est revenu sur cette folle épopée il y a une dizaine de jours de cela, nous plongeant notamment dans l’intimité du vestiaire parisien lors des moments clés de ce sprint final, après le dernier revers de la saison concédé, face à Fos-sur-Mer, ou encore à la mi-temps du dernier match remporté à Lille.

Jean-Christophe Prat, si on reprend l’histoire depuis le début de saison, vous souvenez-vous de l’état d’esprit dans lequel vous aviez démarré ?

Le début de l’histoire commence au mois de mai de l’année dernière, après le premier confinement. C’est à ce moment qu’on a commencé à préparer la saison suivante. On a mis en place un « training camp » de mi-mai jusqu’à fin juillet avec tous nos joueurs pros, excepté Dustin Sleva qui était notre seul joueur étranger. On a entraîné nos joueurs dans le perfectionnement individuel dans un premier temps, en préparation physique ensuite. On a individualisé toute la préparation, pour les faire progresser le plus possible. A l’arrivée, ça a été deux mois de travail qui, je pense, ont été extrêmement bénéfiques pour un groupe aussi jeune.

Vous débutez donc avec un groupe jeune. Avec quelles ambitions ?

Le seul objectif qu’on s’était fixés avec notre président, David Kahn, c’était de donner de l’expérience à ces jeunes joueurs et de se maintenir à un niveau qui nous permettrait, soit d’accéder aux playoffs, soit de ne pas être très très loin d’y être, tant qu’on n’était pas certains que la saison allait se terminer. Il faut se rappeler que la saison d’avant, on avait engagé MarQuez Haynes, qui est quand même un joueur avec un palmarès incroyable pour la Pro B. On l’avait signé jusqu’à la fin de la saison, et il n’avait pu jouer que trois matchs. Donc on ne voulait pas se retrouver dans cette situation là, engager un joueur sur un gros contrat et le faire venir sans être sûr que la saison allait aller au bout. Le seul objectif, c’était de continuer à développer nos jeunes joueurs en maintenant un niveau d’équipe qui puisse nous permettre d’être en milieu de tableau, disons « milieu + ».

C’est un groupe que vous avez vraiment façonné à votre image si l’on peut dire au regard de votre parcours d’entraîneur ?

Oui, mais aussi à l’image du Paris Basketball. En fait, Jean-Christophe Prat n’est pas le Paris Basketball. C’est le Paris Basketball qui a engagé Jean-Christophe Prat. Et l’ADN de ce que club est, sera, quelle que soit la compétition, même au plus haut niveau européen si le club y arrive un jour, de mettre des jeunes joueurs sur le terrain. C’est peut-être pour ça que je suis l’entraîneur du Paris Basketball. Bien sûr que j’ai cette fibre, de développer des jeunes. Mais c’est avant tout, la volonté d’un président, David Kahn, qui souhaite que son club ait cet ADN.

Disons que vous partagez ces valeurs et ça s’en ressent sur la composition de l’effectif…

Clairement, et ce dès la première année. On avait quatre jeunes de moins de 23 ans dont deux font toujours partie de l’équipe, Gauthier Denis et Valentin Chéry et qu’on a aidé à grandir. Et chaque année, on a essayé d’ajouter des jeunes à cet édifice.

C’est l’occasion d’évoquer vos trois premières années de coach à Denain (2014-2017) et de citer ces joueurs que vous avez eu sous vos ordres : Yakuba Ouattara, Jerry Boutsiele, William Howard, Isaïa Cordinier, Yannis Morin et Terry Tarpey…

Oui, Vafessa Fofana aussi la première année. Et puis Austin Hollins, qui jouait au Zenit Saint-Petersbourg cette saison.

Qu’avez vous appris de ces trois saisons là, la première très bonne et les deux autres plus compliquées ?

Denain était vraiment ma première expérience en tant que coach, donc c’est compliqué de comparer. Ce qui est clair, c’est que dès ma première expérience, j’ai essayé d’aller au bout de ce que je suis et je pense être, avant tout un coach qui aime former des jeunes joueurs mais aussi des joueurs avec plus d’expérience. Je pense qu’on peut se former à n’importe quel âge. C’est un état d’esprit que de vouloir progresser. Ce n’est pas lié qu’à l’âge. Par exemple, j’ai pris Benoît Gillet la première année, qui avait déjà 29-30 ans et qui m’a récemment laissé un message en me disant qu’il avait appris énormément de choses cette année là. Ce n’était pas un jeune joueur, mais il avait cet état d’esprit.

Ce que j’en ai retenu, c’est qu’il n’était possible de mettre des jeunes joueurs sur le terrain, que, et seulement que si vous avez des vétérans qui partagent aussi cet état d’esprit. Si vos vétérans n’acceptent pas les erreurs que ces jeunes peuvent naturellement commettre, n’acceptent pas de rester à la salle encore plus pour leur donner aussi des conseils, ça ne peut pas le faire. Vos vétérans sont des relais pour un coach, presque comme des assistants, qui relaient votre message. C’est un équilibre un peu difficile à trouver, mais quand on y arrive, c’est extrêmement valorisant, et pas seulement pour le coachs mais aussi pour ces vétérans, qui sont plus que des joueurs.

Choisir les bons vétérans qui vont « encadrer » le groupe est l’élément le plus important ?

C’est un peu ce que je leur dis quand je veux les recruter. Je leur dis : « Attention, c’est très compliqué d’être vétéran pour moi parce que j’attends beaucoup plus que de simplement venir à la salle, faire l’entraînement et repartir. Il faut venir à la salle, être un leader par l’exemple, partager son expérience avec ces jeunes, parfois rester avec eux sur le terrain. C’est en cela qu’on leur demande d’être plus que des joueurs. Au début, ils disent tous : « Oui oui coach » mais quand il s’agit de le faire, c’est pas toujours simple. C’est la grande chance que j’ai pu avoir à travers le temps, d’avoir eu des Sacha Giffa, des Jeb Ivey la première année aussi, un meneur américain qui avait été extraordinaire là-dessus. Amara Sy, Gary Florimont aussi, qui a été le premier capitaine du club et qui a été un relais incroyable pour nous, les coachs. C’est chouette d’avoir des gens comme ça.

Il ne faut pas se tromper sur le projet qu’on vend aux joueurs, jeunes ou vétérans. Il faut qu’ils soient sur la même longueur d’ondes que nous. Pour vous donner un exemple, j’avais recruté un très fort joueur en provenance de Hyères-Toulon qui s’appelait Kyle Spain. Il m’avait dit oui à tout ce que je lui avais dit au téléphone. Et au final, il n’avait pas du tout envie de jouer ce rôle là. Ma saison avec lui a été très compliquée. Humainement, super mec, mais pas du tout dans cet état d’esprit là. Du coup, je sais aujourd’hui par expérience que lorsque j’ai les joueurs au téléphone, en entretien, je dois vraiment arriver à percevoir, ce petit truc, cette façon d’être, qui est celle qu’on recherche ici.

Aujourd’hui encore, vous disposez de jeunes joueurs de choix, Milan Barbitch, Juhann Bégarin, et Ismaël Kamagaté. Il y a aussi Gauthier Denis même s’il s’était déjà montré en pro. N’étaient-ce pas eux qui détenaient la clé de la vitesse de la progression de ce club, depuis le départ ?

Clairement ! En fait ils avaient la clé, mais sans le savoir. C’est incroyable parce que c’est aussi le point commun qu’il y a eu entre Denain et Paris Basketball. Au début, ces jeunes là sont ceux qui vont vous faire basculer dans une autre dimension, mais ils ne le savent pas encore parce qu’on est au début de la saison. Sauf que de par leur jeunesse, ils travaillent sans doute plus que les autres, avec plus d’entraînements. Ils progressent aussi plus vite et souvent, en deuxième partie saison, ce sont eux qui font la différence au final, parce qu’ils éclatent au grand jour.

C’est ce qui s’est passé très clairement sur cette deuxième partie de saison. C’est le fruit de deux ans de travail. Sur la deuxième partie de saison, on a eu un Milan qui a fait des matchs assez incroyables. Où il a été capable de mettre 14 ou 15 points sur un quart-temps et s’est montré à la hauteur sur des matchs couperets. On a eu un Juhann qui a été sur un niveau juste exceptionnel sur les dix derniers matchs, que ce soit offensivement, dans l’adresse et défensivement. Et on a eu un Ismaël qui a été d’une constance bluffante sur la dernière partie aussi.

Ce qui est marrant, c’est qu’au final, ce sont aussi nos joueurs d’expérience, Amara Sy et Nobel Boungou-Colo, qui se sont mis au service de ces jeunes joueurs sur la fin. On a eu un Nobel qui est passé de leader offensif à quelqu’un qui s’est mis au service du groupe, et Amara qui était blessé sur les quatre derniers matchs, mais qui a dit : « C’est pas grave, je joue quand même. Si ça pète, ça pète. J’ai une petite douleur, mais j’y vais, parce que c’est le money-time ». Et il nous a donné des minutes très importantes, notamment à Nancy et contre Poitiers. Je ne sais pas si ces jeunes joueurs réalisent qu’ils avaient la clé, mais c’était super à voir.

Avez-vous été surpris par la rapidité de leur progression ?

Oui et non. Parce qu’ils ont quand même un potentiel incroyable. Ismaël, ça a été très linéaire, sur un an et demi. Déjà la saison dernière, il avait montré des choses. Il a juste eu un coup de moins bien l’espace d’un mois entre février et mars. Sinon, sa progression a été très linéaire et il a encore une marge, tous les trois d’ailleurs, assez énorme.

Juhann, à partir de janvier, j’ai vu des choses incroyables. Sauf qu’il n’arrivait pas encore à les transférer en match. A l’entraînement, ça devenait même compliqué pour les autres de l’arrêter. Ça s’est mis en place en match fin mars. Il a eu un déclic, je ne sais même pas d’où il est venu, il faut aussi rester très modeste, car ça vient avant tout d’eux. Il y a tout ce travail qui se met en place, et tout à coup, il y a le déclic. Et à partir de ce moment, il est devenu inarrêtable.

Et celui qui est peut-être le plus bluffant, c’est Milan. J’y croyais dur comme fer, parce que je le connais depuis qu’il a 14 ans. Je l’avais même fait venir à Denain pour faire un entraînement avec les pros de l’époque. Il y avait beaucoup de gens qui disaient : « Il est grand, il est frêle ». En effet, il est peut-être grand et frêle, mais il n’a peur de rien. Pour Juhann et Ismaël, tout le monde parle de NBA. Mais très honnêtement je ne sais pas encore quel est le plafond de Milan. Sur les deux ans, il a déjà repoussé beaucoup de barrières.

En quoi Juhann Bégarin et Milan Barbitch ont progressé sur cette fin de saison ?

Juhann a énormément progressé sur deux aspects. On a beaucoup travaillé sur les lectures de « pick-and-roll », pour en faire vraiment un deuxième arrière moderne. Et puis le tir. Il a été d’une régularité, je crois qu’il finit la saison à 37% de réussite à 3 points alors qu’il l’a commencée à 22. Au début, quand Juhann était ouvert, les adversaires le laissaient tirer. Je me demande s’il n’est pas autour des 45% sur les 11 derniers matchs. Il a fini la saison avec un niveau d’adresse incroyable.

Milan a énormément travaillé physiquement. Il a pris beaucoup de kilos de muscle. Il a aussi gagné en agressivité dans les drives. Il a toujours été très bon passeur, doté d’un tir, et c’est quelqu’un qui comprend le jeu. Il a aussi beaucoup progressé dans l’agressivité au cercle. Aujourd’hui, un des gros points de progrès de Milan lors de la saison à venir, c’est que lorsqu’il est agressif vers le cercle, il est souvent agressif pour lui. Maintenant il faut qu’il soit aussi capable de l’être pour ressortir les ballons. Mais bon, « step by step ».

Pour Isma, lui est impressionnant, mais sur un point qu’on ne voit pas statistiquement, c’est que défensivement, il change la donne. Il est pour beaucoup de notre réussite sur la fin, parce que défensivement, il tue tous les adversaires. C’est un immeuble ! Vous mettez un immeuble dans la peinture, et les joueurs ne voient plus le panier. C’est Laurent Foirest qui me disait « On le voit peut-être moins en attaque, mais en défense, il change tout ». On voit les joueurs qui vont au lay-up qui se font contrer, d’autres qui ont peur d’aller finir parce qu’il est là ou changent leur trajectoire de tir.

Sa progression réside-t-elle pour lui aussi dans la dimension athlétique ? Peut-être afin d’être plus ancré au sol ?

Ismaël a déjà pris 11 kilos de muscle en deux ans. Il a énormément évolué sur le haut du corps. Il lui reste un gros travail à effectuer sur le bas du corps, qu’on va commencer dès le 1er juillet. L’évolution dans son jeu, elle est offensivement sur un travail de face-up, face au cercle. Mais sa plus grosse marge de progression est mentale. Aujourd’hui, la limite d’Ismaël, c’est Ismaël. Parfois, il n’ose pas. C’est la première fois de ma vie cette année que j’ai donné dix pompes à un joueur parce qu’il n’osait pas tirer alors qu’il était ouvert. A un moment, j’étais tellement énervé, il n’a pas pris le tir, il a hésité. Je lui ai dit : « Allez, fais dix pompes ». Les joueurs en général, ils veulent tous tirer ! Lui a cette espèce de timidité parfois, du genre « Ah je peux tirer ? » Mais on ne te l’a jamais interdit ! Si c’est un bon tir, vas-y, tous les jours ! Parce qu’en plus, il est adroit. Je crois qu’il n’a peut-être pas encore réalisé tout le potentiel qu’il a en lui, et c’est ce qui fait aussi tout son charme.

Il y a un joueur dont vous devez être aussi particulièrement fier de la progression, c’est Dustin Sleva, qui est là depuis le début et qui termine cette saison en étant 5e meilleur éval’ de la division…

En aparté, je suis assez surpris qu’il ne fasse pas partie du meilleur cinq de la saison. Dustin, c’était un jeune chien fou qui sortait de deuxième division universitaire (NCAA). Il courait partout, il avait une énergie folle, mais alors, il ne comprenait rien au basket. C’était juste une pile électrique qui courrait partout. Et lorsqu’on voit l’évolution sur ces trois saisons, c’est magique. En plus de ça, c’est un garçon qui a une qualité que vous ne voyez pas, c’est que c’est un grand leader. Il était capitaine de son équipe à l’université de Shippensburg (Pennsylvanie), et c’était le deuxième capitaine de l’équipe après Amara, et ce sont les joueurs qui l’ont choisi. Quand les joueurs désignent un étranger pour être leur capitaine, c’est un signe qui ne trompe pas. Cette année, Dustin a beaucoup progressé à la passe, dans le dribble, il s’est affiné… C’est devenu un vrai « stretch four » moderne. On est super contents, et on espère qu’une chose, c’est qu’il reste avec nous la saison prochaine.

Quand on le voit jouer aujourd’hui, ça n’a plus rien à voir avec la description que vous en faîtes à la sortie de la fac…

C’est marrant, parce qu’il y a un mois, alors qu’il restait deux trois matchs à jouer, je disais à Dustin : « Tu te rends compte du chemin parcouru entre la première année et celle-ci ? ». La première année, je me souviens de Gary Florimont, qui était notre capitaine, qui me disait « Arrête, il va craquer ». C’était un rookie, et je peux vous assurer que j’ai l’air cool comme ça, mais je ne suis pas cool. Il a mangé sévère, sévère de chez sévère. Et quand on voit aujourd’hui qu’il suffit d’un regard pour qu’on se comprenne. Je lui parle, mais je lui parle peu maintenant. Parce qu’il joue juste, il a compris ce qu’il faut faire. Et il a toujours ce supplément d’âme, cette intensité, ce rebond offensif qui va faire la différence… Il se bat tout le temps. Il a ce truc ancré en lui.. S’il faut aller chercher un rebond improbable, il va aller le chercher.

Parmi les éléments qui ont boosté votre potentiel, il y a notamment l’arrivée de Ryan Boatright. Dans quelle mesure a-t-il contribué à porter cette équipe vers le haut ?

On l’a fait venir pour une chose, pour nous aider à monter. Il a rempli sa part du contrat. Je ne sais plus exactement quel bilan on avait lorsqu’il est arrivé, on devait être à 9-8 ou quelque chose comme ça. On n’a pas perdu beaucoup de matchs avec Ryan. Ça a mis un peu de temps à se mettre en place. Il n’était pas en grande forme lorsqu’il est arrivé, en provenance de Lituanie où il avait eu le Covid. Il avait quelques kilos en trop. Je vous avoue que le premier mois a été compliqué pour Ryan, et ça a été compliqué entre Ryan et moi. Parce qu’il y a toujours une période où les gens se jaugent. La seule chose que je savais, c’est que je connaissais le joueur parfaitement. On pensait déjà à lui au début de la saison, et que je voyais très bien le joueur qu’il était, de l’époque de Uconn avec qui il avait gagné le titre, puis lorsqu’il a signé au Besiktas. Il fallait juste qu’il s’y mette.

Ryan est peut-être arrivé en se disant : « Bon, c’est la Pro B, je vais dominer ». La chance qu’on a eue, c’est que je crois que son premier match, c’était à Fos-sur-Mer, où on a pris une raclée. Et il a tout de suite pris la mesure de ce que pouvait être la Pro B. Il s’est mis au boulot, même si les premiers entraînements étaient moyens. Comme beaucoup de joueurs étrangers il avait tendance à s’entraîner « tranquillement ». Je me rappelle encore d’un de ses premiers entraînements où il est allé demander à Amara si c’était toujours comme ça. Et Amara de lui répondre : « Oui, c’était même plutôt tranquille aujourd’hui ». Il s’y est mis, et comme le garçon est extrêmement intelligent, quand il a décidé de passer en mode « on » au bout de 2-3 semaines, là ce n’était plus le même joueur.

C’est intéressant parce que c’est un joueur atypique. Comme il le dit : on l’aime ou on le déteste. Il a son caractère, il est entier, c’est quelqu’un qui dit les choses et qui ne prend pas de pincettes. Et donc il a dit certaines choses à certains joueurs, dans l’intimité du vestiaire, et je pense qu’il a aussi gagné leur respect comme ça. Par contre il est cash. Et j’aime bien ce genre de joueurs, qui ne sont pas toujours consensuels. J’aime bien les joueurs qui disent les choses et c’est ce que je demande à mes joueurs : zéro non-dit. Il faut une grande transparence, on peut tout se dire. Par contre, je n’aime pas les murmures dans le dos. Ryan est comme ça. Ça a mis du temps à se mettre en route, mais je n’étais pas plus inquiet que ça. Je ne pouvais pas prévoir qu’on finirait comme ça, mais je savais qu’on finirait bien. Parce que c’est un vrai joueur de basket.

Est ce que vous vous souvenez de l’état d’esprit dans lequel vous étiez au soir de cette deuxième défaite de suite face à Blois, début mai, avant d’enchaîner 10 victoires en 11 matchs ?

Je crois qu’on était 7e, avec bien trois-quatre défaites de retard sur Blois. C’est marrant parce que je me demandais en fait quand a eu lieu le fameux déclic. Et je ne sais pas réellement. En fait, j’ai envie de dire qu’il y a quatre matchs qui sont des déclics. Il y a Blois deux fois, on va à Aix-Maurienne, et on reçoit Fos-sur-Mer. Ce sont peut-être ces quatre-là qui ont fait basculer le truc.

Le premier match à domicile contre Blois on perd en prolongation alors qu’on a la balle de match. On perd à Blois de façon plutôt normale, ils avaient été meilleurs que nous dans l’ensemble. Ensuite, on fait une très grosse performance à Aix-Maurienne, à 146 d’évaluation collective. Et on perd contre Fos-sur-Mer, dans un match d’une rare qualité, je pense le plus beau qu’on ait joué cette année. Je crois que les deux équipes mettent 15 paniers à 3 points chacune. On perd ce match qu’on ne doit jamais perdre. On a juste en face de nous une équipe euphorique, qui met quatre paniers à 3 points avec la planche, des joueurs qui ont de petits pourcentages en carrière, qui mettent leurs tirs. A ce moment là, tu te dis que ce n’est pas ton jour. Et je me rappelle que mon président est venu me voir à la fin du match pour me dire : « On a fait un gros match, mais ce n’était pas notre année ». Même lui, se dit ce soir là que c’est sans doute déjà fini.

Qu’aviez-vous tenu comme discours à vos joueurs à ce moment là ?

La seule chose que j’ai dite après ce match, qui a été notre dernière défaite, c’est qu’on ne regarde plus le classement, on joue juste chaque match comme on l’a fait sur les quatre derniers. Et c’est difficile de leur dire ça, parce que sur les quatre, on en a perdu trois. « Il faut qu’on joue avec cet ADN là, pendant 40 minutes, à défendre comme des chiens de la casse, parce que c’est ce qu’on est, ce n’est pas péjoratif. On met une intensité max pendant 40 minutes, avec beaucoup de rotations, en attaque on partage la balle de la même façon, et on verra ce qui se passera ». On n’a pas regardé le classement, jusqu’à l’avant dernière journée. Et là, c’est un truc de dingue qui se produit.

On n’a jamais été dans les deux premiers. On bat Poitiers et là, je m’en rappellerai toujours, les joueurs sortent du vestiaire un à un, et me disent « T’as vu les résultats ? T’as vu les résultats ? ». Je dis « Non, je sors de la conférence de presse, je n’ai pas regardé ». Et on me dit que Saint-Chamond avait gagné à Saint-Quentin, que Blois avait perdu à Vichy-Clermont et Fos-sur-Mer aussi, à la maison contre Quimper. Autant dire que le scénario pour que ces trois matchs là basculent dans ce sens là… Je ne suis pas parieur, mais la cote devait être à 15 ! Et là, le chemin s’est ouvert pour nous, et c’est la première fois que j’ai senti la pression arriver sur les épaules de mes joueurs, sur le dernier match, parce que c’était la toute première fois qu’on était en position de monter. C’est incroyable non ? À la 33e journée, alors qu’on n’en avait plus du tout parlé, on avait mis ça de côté. Pour ma part, je ne regardais même plus le classement ni les résultats des autres équipes. J’ai essayé de leur en enlever un peu, mais on s’est mis énormément de pression.

Sur ce dernier match face à Lille, où vous devez impérativement gagner, vous vous retrouvez en difficulté en première mi-temps. Qu’est ce que vous avez dit aux joueurs pour qu’ils reviennent aussi révoltés et passent une série mémorable ?

Les trois jeunes se retrouvent tétanisés en première mi-temps. Juhann peut-être moins que les deux autres, mais j’ai vraiment trouvé Milan et Ismaël tétanisés par l’enjeu du match. Gauthier est surexcité et du coup ne met pas un pied devant l’autre. Dustin prend deux fautes tout de suite, et c’est le scénario cata puisque de mémoire on se retrouve à -14 en deuxième quart-temps. On revient à -7 à la pause (40-33). Et en fait, je rentre dans le vestiaire, je les regarde…. et j’avais vraiment envie de les engueuler. Ryan Boatright me regarde et me dit : « coach, c’est moi qui parle ». Vous savez ce que je fais ? Je sors du vestiaire et je dis aux assistants coachs « les gars, ils ont compris ». Ryan leur a parlé, Amara leur a parlé. Je ne sais même pas ce qu’ils se sont dits. J’ai juste senti à ce moment là qu’ils étaient prêts. Parfois, quand votre équipe est prête quand vos joueurs sont prêts, ça sert à rien de parler. J’ai juste senti à ce moment qu’il fallait que je lâche l’affaire. J’ai commencé à dire deux mots, Ryan m’a regardé et m’a dit : « Coach, je gère ».

Ça nous était arrivé sur les matchs précédents de rater une mi-temps, contre à la mi-temps où à Saint-Chamond. Mais quand ils se mettaient dans le bon mode, c’était terminé, ils explosaient tout le monde. Comme je l’ai dit, parfois les vétérans sont vos meilleurs relais, et j’ai laissé la parole à Ryan Boatright. Je n’ai même pas débriefé avec lui parce qu’il est parti deux jours après. Tout ce que je sais, c’est qu’on a gagné la deuxième mi-temps, 60 à 29.

Je le redis de façon très simple et très modeste, les stars de ce jeu, ce sont les joueurs. Nous on est là pour les encadrer, leur donner une direction, les recadrer aussi quand ça ne va pas. Mais ce jeu leur appartient. Quand vous sentez que votre groupe est prêt, ça ne sert à rien de trop parler. Et il se trouve que sur ce moment là, j’ai senti ça. Ça a marché ce coup ci, ça ne marchera peut-être pas la prochaine fois.

Comment avez-vous vécu l’après-match, sachant que votre accession dépendait toujours des résultats ultérieurs de Blois ?

Malgré tout je leur ai dit de faire la fête après le match. Parce qu’on savait qu’on ne fêterait pas l’accession ensemble. Juhann partait aux Etats-Unis sur l’Elite Combine, Dustin est parti en vacances en Grèce, Ryan est reparti très vite aux Etats-Unis, les étrangers veulent rentrer rapidement chez eux et je les comprends, après avoir passé dix mois loin de leurs familles. Du coup ils ont fait la fête dans le vestiaire à Lille, dans le bus sur le retour. Ils ont célébré la fin de saison

Et ce match deux jours plus tard entre Blois et Nancy qui a validé votre accession ?

Certains joueur l’ont vécu ensemble, d’autres avaient besoin de le faire seuls. Moi, je ne l’ai pas regardé. Pour être franc, étant grand fan de tennis, je voulais faire un tennis mais je n’ai trouvé personne pour jouer avec moi et pour cause, c’était la finale de Roland-Garros entre Tsitsipas et Djokovic. Du coup j’ai regardé la finale. J’ai coupé mon ordinateur et mon portable. Et vers 18h40, quand je rallume le téléphone, j’ai un texto de Philippe Hervé qui s’affiche : « T’es en Jeep Elite ». C’était chouette parce que Philippe était parti voir le match où il y avait François Peronnet avec qui on travaillé pendant très longtemps et Mickaël Hay qui était son joueur à Chalon-sur-Saône. Et c’est le premier texto que je reçois, Philippe Hervé, quelqu’un qui m’a appris énormément de choses, qui m’a pris sous son aile. C’était sympa, et je l’ai su comme ça.

Avez-vous pu voir le match ensuite ?

Je l’ai regardé le mardi suivant. Un scénario incroyable, puisqu’à +4, s’il n’y a pas l’antisportive de Ben Monclar, c’est plié. Pour être franc, c’était un sentiment partagé, parce qu’il y avait beaucoup de joie, mais aussi un peu de peine parce que je suis vraiment pote avec Mickaël Hay. C’était compliqué parce que François Peronnet est un ami, avec qui j’ai travaillé pendant sept ans, et je suis pote avec Mickaël. C’est pour ça que je ne voulais pas regarder le match.

Ce qu’on a bien fait, c’est qu’on a maîtrisé ce qu’on pouvait maîtriser en gagnant tous les matchs qui restaient. Le reste, il faut être modeste, il y a toujours un peu de chance, et c’est une saison vraiment particulière. Fos a par exemple remporté quatre matchs en prolongation. Il suffit qu’ils fassent 2/4, et ils se retrouvent 3e ou 4e. C’est ce qui fait que les gens aiment le sport, car parfois il est un peu aléatoire, avec des scénarios complètement fous. Je regardais Djokovic-Tsitsipas, Tsitsipas menait deux sets à zéro et personne n’aurait alors misé sur une victoire de Djoko.

Avez-vous déjà ressenti au cours de votre carrière un tel niveau de cohésion et de domination de la part de votre équipe sur cette fin de saison ?

Non, c’est la première fois de ma vie que je coache une équipe comme ça. C’est Bienvenu (Kindoki) mon assistant, qui me disait il me semble qu’on était à 97 points marqués en moyenne, 115 d’évaluation collective, 47% de réussite à 3 points et plus de 20 passes décisives par match sur les 11 dernières rencontres. Sur la fin j’ai presque l’impression de m’asseoir et en fait d’être sur les « Golden Seats », et tu regardes ton équipe jouer ! Parfois c’était compliqué, on s’écartait du plan de jeu. Ils peuvent aussi se relâcher en se pensant au-dessus. Mais par moments aussi, c’est vrai que c’était un kiff, de voir le niveau développé, cette capacité à se partager le ballon, et à faire le show, tout simplement.

Le kiff, c’est qu’ils prenaient tous un grand plaisir à jouer ensemble. On a quand même des ego dans l’équipe, ça n’a pas toujours été facile. Et de voir cette équipe jouer comme ça sur la fin de saison, c’était vraiment top. Au dernier match, l’assistant coach de Lille, Maxime Bézin, qui est d’ailleurs le prochain coach de l’équipe, est venu me voir pour me dire : « C’était un plaisir de faire votre scouting ». C’est un beau compliment, même pas seulement pour moi, mais pour tous les joueurs. Quand on vous dit ça, ça fait vraiment plaisir.

Comment voyez-vous l’avenir ?

Les pieds dans la piscine !

C’est important aussi de bien savourer, de profiter de cet accomplissement…

Tout à fait. La semaine d’après, avec la pression, l’adrénaline, tout ça qui retombe, j’ai eu un coup de mou mental et physique incroyable. Je n’avais plus d’énergie à rien faire. Là je suis parti au milieu de nulle part dans le sud de la France, tout seul. J’avais besoin de déconnecter.

La suite, elle est passionnante. On reprend le 1er juillet avec les joueurs professionnels qui sont sous contrat. On fait faire du perfectionnement individuel, de la prépa physique, pendant un mois. On va aussi intégrer nos jeunes potentiels. On a une jeune classe 2005 qui arrive fort, la nouvelle génération Paris Basketball. On reprendra assez tard en pré-saison, aux alentours du 25 août, avec comme seul objectif, dans un premier temps, de se maintenir. Ça ne veut pas dire qu’on aura plus d’ambition en interne, mais dans un premier temps, il faut y aller étape par étape. On recommence un cycle.

Deux focus pour terminer, sur Kevin Franceschi d’abord, un joueur que vous avez trouvé alors qu’il avait évolué hors des radars de la LNB jusque là…

Il n’était pas dans les miens non plus. En fait, on a rencontré Kevin à l’Amiral League, qu’avait créé Amara Sy l’an dernier. Et il avait été éblouissant. Au début de saison, on s’était dit qu’on allait partir sans meneur étranger. Kevin est plus un poste 2, mais on a tenté de le faire jouer 1/2. C’est comme ça qu’on l’a recruté. Il fait une première partie de saison très intéressante, avec de très belles prestations en Leaders Cup. Ce n’était pas simple pour lui parce que son poste 1 n’est vraiment pas son poste de prédilection. Kevin, c’est un scoreur.

Malheureusement, il s’est fracturé le péroné en janvier et a eu trois mois d’arrêt. Il a travaillé comme un chien pour revenir, mais vraiment. Il y a des jours où il passait 7 heures à la salle. C’est un vrai travailleur, et humainement, un super mec. Quand il est revenu, l’équipe était déjà en place. J’ai essayé de le faire revenir sur certains matchs. Je sentais qu’il ne fallait pas trop que je modifie l’équipe, et lui avait du mal à retrouver ses repères. Ça s’est fini comme ça. Je l’ai eu en entretien. C’est un garçon qui peut éclater l’année prochaine en Pro B sur un poste 2 scoreur. Il peut créer son tir, je pense que c’est un joueur qui va faire de gros cartons la saison prochaine.

Pour finir sur l’expérience Sheck Wes, quel bilan en tirez-vous ?

Comme tout coach français, quand mon président m’a présenté ça, j’ai été très sceptique. Et en fait, je me suis dit « Sois flexible, écoute ». Mon président m’a dit : «  Ce que je ne comprends pas en Europe, c’est que vous ne mélangez jamais le business et le sport ». Or eux, aux Etats-Unis, c’est leur façon de fonctionner. Et là, mon président m’explique clairement : plus il y a de business, plus il y aura de rentrées d’argent, plus les sportifs seront mieux payés, et on aura une équipe meilleure.

La difficulté que j’ai eue, et qu’il a fallu que je gère, c’est qu’il fallait que je le fasse jouer. Il s’est trouvé que je n’avais toutefois aucune obligation de le faire. Le gars est arrivé. Sincèrement, respect. Il a gagné le respect de tous les joueurs. Quelqu’un de simple, humble, qui s’entraînait comme un mort de faim. Parce qu’il aime ça. Il aime le basket. C’est clairement sa passion. Il n’avait pas le niveau pour jouer en Pro B, très clairement. Mais ça restait néanmoins un joueur que tu peux faire jouer quelques minutes. On a juste essayé de le mettre à des moments où on avait un peu de marge. Heureusement, on a eu une équipe qui a eu un peu de marge. Et je l’ai fait jouer comme ça.

Au final, c’est cool, et au dernier match, quand on gagne à Lille, je ne sais plus si c’est Nobel ou Amara qui prend son téléphone, et qui fait une vidéo avec Sheck Wes. C’est marrant de voir comment ça se finit. Les mecs l’ont bien aimé au final, vraiment. Je dis pas que je le referais chaque année, mais c’est une expérience, et je l’aurais vécue. Il y a dix ans, on m’aurait dit que j’allais faire jouer Sheck Wes ou son équivalent de l’époque, je ne suis pas sûr que j’aurais dit oui. Aujourd’hui, on vit dans un monde où il faut quand même être assez flexible.

C’est notre métier qui est comme ça aussi. C’est un peu le Yin et le Yang, tout n’est pas tout noir ni tout blanc. Il faut avoir des règles de vie, mais pas trop non plus. Au delà de la technique et de la tactique, on manage de l’humain, et je reprends souvent cet exemple concernant Margaret Thatcher , qui pour moi caractérise le mieux ce que doit être un coach : une main de fer dans un gant de velours. C’est un peu ça notre métier. Il y a des moments où il faut être inflexible, d’autres où il faut l’être. Il y a des règles, des exceptions à la règle aussi. Tout n’est pas noir ou blanc, il faut faire preuve de fermeté et de délicatesse. Je ne sais pas si c’est possible, mais c’est en tout cas comme ça que j’essaie d’orienter mon travail.